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Dans plus de 60 pays dans le Monde, don le plupart dans l’Afrique et le Moyen-Orient, les personnes LGBTQ- sont criminalisées. Ces dernières années, leur persécution s’est intensifiée. Dans cet essai, Joseph Kafuka explique la situation en Afrique et tente de dessiner une voie vers la reconnaissance des personnes LGBTQ.
Les rituels amoureux, les codes de la séduction font partie du patrimoine culturel au même titre que les valeurs morales. Ainsi, la culture façonne notre sexualité en lui conférant une dimension relationnelle. Dès l’enfance, elle impose sa valeur de la masculinité ou de la féminité, sa conception de la différenciation sexuelle. Elle édicte les règles du langage amoureux, donne aux relations entre homme-femme, femme-femme ou homme-homme, une couleur spécifique.
En fait, le processus commun à toutes les dimensions de la sexualité humaine commence par le langage. Le langage permet de transmettre les valeurs d’une société. Le langage accompagne le développement psycho-affectif de l’individu à travers ses stades évolutifs, de l’enfance, en passant par la puberté et l’adolescence, jusqu’à l’âge adulte. Le langage est présent dans l’éducation à la sexualité, y dans le dialogue avec les parents. Et souvent, la moindre déviation comme l’homosexualité est épinglée, dénoncée.
Tout ce qui est lié au sexe a aussi un lien direct avec les croyances religieuses. Même lors qu’ on se considére comme agnostique, le lieu de notre naissance suit une tradition morale, imprégnée dans la culture qui nous conditionne. Ainsi, dans les pays à dominance islamique, les populations étant de croyance musulmane adhérent à la loi islamique. Une loi qui rejette l’homosexualité et la rend de facto illégale.
Quant à la morale chrétienne répandue en Afrique à la suite de la colonisation, après avoir renforcé les pratiques traditionnelles de l’Afrique ancestrale accordant une place primordiale au mariage hétérosexuel, à la procréation, mais maintenant l’eglise Catholique proclam que ”les personnes dont la tendance homosexuelle est réelle ne devraient pas se sentir exclues. Le mariage n’est pas une obligation et l’on a le droit de ne pas être identifié socialement par sa tendance sexuelle. Les personnes à tendance homosexuelle ont leur place dans la société et dans l’église. Il ne doit pas y avoir à leur encontre une quelconque dicrimination…” Cet enseignement ne fait évidemment pas l’unanimité.
En effet, le Vatican a en décembre 2023, approuvé la bénédiction des couples homosexuels, provoquant la réaction immédiate du président de la Conférence des évêques d’Afrique Fridolin Ambongo qui a appelé à établir une ”ligne directrice” propre au continent noir. Ce cardinal congolais (RDC) a déploré ”l’ambiguïté” de la déclaration ”Fiducia supplicans”(*) publiée et soumise au Pape François, qui l’a approuvée, donnant le feu vert aux bénédictions de couples homosexuels. Les évêques de plusieurs pays africains soutenus par les croyants catholiques se sont dressés contre cette prise de position.
Quelques exemples:
Au Malawi, neuf sur 12 évêques actifs ont signé le 19 décembre 2023 une ”clarification commune”, déclarant qu’ils ne dispenseraient de bénédiction d’aucune sorte aux couples homosexuels. Ces évêques malawites ont regretté que cette déclaration laisse place à des ”interprétations erronées”, suscitant ”des craintes et des inquiétudes parmi les personnes qui se tournent vers l’Église catholique pour obtenir des conseils moraux, spirituels et doctrinaux”.
La conférence des évêques catholiques du Kenya a rappelé que les relations homosexuelles ne sont pas acceptées dans leur culture.
Au Nigeria, la Conférence des évêques a affirmé que pareille disposition ”contredisait la loi de Dieu, les enseignements de l’Église, les lois de notre nation et les sensibilités culturelles de notre peuple”. Par la voix de son président le cardinal Donatus Ogun, elle a invité les personnes homosexuelles à ”s’engager sur le chemin de la conversion”.
En Zambie, les évêques et archevêques du pays ont fait une démarche similaire, soulignant dans un communiqué commun que «Fiducia supplicans» étant en contradiction avec la loi de leur pays, où la sodomie est passible de 15 ans de prison, elle n’était ”pas destinée à être mise en œuvre en Zambie”.
Plus de soixante pays en Afrique et au Moyen-Orient, criminalisent les personnes LGBTQ. Dans ces pays, des lois draconiennes sont utilisées pour les harceler, les arrêter, les emprisonner. Parmi les plus cités, l’Ouganda qui a récemment introduit la peine de mort pour certains actes homosexuels. Réaction du directeur des programmes de Social Minorities Uganda (SMUG), une association ougandaise de défense des homosexuels, Pepe Onziema ”Nous avons saisi un tribunal américain, qui vient de rejeter notre plainte pour des raisons techniques. Mais avant ce rejet, cette instance judiciaire a déclaré que la persécution généralisée des personnes LGBTQ constitue un crime contre l’humanité et viole les normes internationales”. Ce qui console Onziema qui estime que ”cette reconnaissance présente des aspects encourageants.”
La loi ougandaise de 2023 contre l’homosexualité criminalise aussi la ”promotion des activités LGBTQ” et prévoit des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 20 ans. Cette loi a été dénoncée par des ONG internationales, par des experts des Nations unies, qui l’ont qualifiée de discriminatoire, de contraire au droit international. Mais elle est maintenue en vigueur, elle a été signée par le président ougandais Yoweri Museveni qui a appelé ses homologues africains à ”donner l’exemple pour sauver le monde de la dégénérescence et de la décadence …”
Au Ghana, l’homosexualité est déjà criminalisée en vertu d’une ancienne loi héritée de l’époque coloniale britannique. Un nouveau projet de loi sur les droits sexuels et les valeurs familiales prévoit des peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement par le simple fait de s’identifier comme personne LGBTQ et de cinq ans pour la promotion ou le soutien aux activités LGBTQ. Il prévoit aussi l’obligation pour les familles et les citoyens ordinaires de dénoncer toute personne soupçonnée d’appartenir à une communauté LGBTQ.
Dans les pays où la législation reste muette face à cette problématique, comme en RD Congo, c’est souvent la rue qui se charge de dire aux personnes LGBTQ ”Allez vous faire voir ailleurs …” Aucune loi ne pénalise l’homosexualité, mais le harcèlement, les agressions, le rejet contre les personnes LGBTQ sont omniprésents. Leur exhibitionnisme est aussi perçu comme une provocation.
Par ailleurs, une opinion bien partagée dans les pays africains, affirme que l’homosexualité est un comportement spécifique aux pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Son apparution en Afrique est une conséquence de la ”fascination exercée par l’Occident”. Aussi, la controverse sur sa légitimité reste considérée comme une ”affaire des Blancs”. Mais désormais, les médias, les lobbies, les organisations non-gouvernementales (ONGs) ont mondialisé la question de l’homosexualité sous l’angle des droits humains, de sorte que l’Afrique se retrouve impactée par ce débat pendant que l’industrie culturelle (cinéma, réseaux sociaux, internet) affectent les mentalités et les pratiques sexuelles locales.
”Nous devons au niveau international, inverser la question de l’homosexualité”, déclare l’avocat français Etienne Deshoulières, fondateur de l’Association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité. ”Ce ne sont pas les homosexuels qui sont des criminels. Ce sont les personnes qui les persécutent qui sont des criminels en incitant à la violence. Ces personnes sont des criminels aux yeux de la justice internationale et aux yeux de la justice nationale des pays qui reconnaissent les droits des personnes LGBTQ ”.
Pendant ce temps, dans la grande majorité de pays africains, elle est toujours considérée comme une ”pratique contre-nature”. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 ne reconnait pas non plus de manière explicite l’homosexualité. Elle consacre en son article 18, le droit à la famille, qui est généralement interpreté dans le sens du couple hétérosexuel, considéré comme ”l’élément fondateur de la société”. Par conséquent, les ordres juridiques africains perçoivent l’homosexualité comme une déviation à la loi de la nature relative à la pratique sexuelle et à la procréation assurant la survie de l’espèce humaine.
Alors, la reconnaissance de l’homosexualité comme un droit humain en Afrique a encore un long chemin à parcourir. Elle ne saurait être le fait d’une simple démarche législative. Elle sera plutôt le résultat d’un élan collectif des populations, des communautés lentement sensibilisées, non pas à l’approbation unanime de l’homosexualité, mais davantage à la tolérance, au traitement humain de personnes LGBTQ.
Joseph R. Kafuka • 2024-11-13 Joseph R. Kafuka est un journaliste originaire du Congo-Kinshasa où il a été le fondateur d'un réseau de journalistes congolais contre la corruption (REJAC). En Suède, il est consultant au "Female Film Festival" de Malmö et membre de l'association des professeurs de langue française.