Lyktan
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Les trésors culturels pillés dans les pays africains ont symboliquement commencé à être rapatriés. Mais les institutions et les États européens continuent de poser les conditions de leur retour. Pour Lyktan, Josef Kafuka lance un appel pour la restitution inconditionnelle de ces trésors volés.
Une cérémonie symbolique s’est tenue mercredi 27 octore 2021 à Paris au cours de laquelle la France a acté la restitution au Bénin de 26 oeuvres des trésors royaux d’Abomey, conservées jusqu’ici au Musée du Quai Branly. Emmanuel Macron a présidé la cérémonie qui s’est tenue au musée parisien abritant des milliers d’oeuvres africaines en partie pillées pendant la colonisation. Parmi ces oeuvres d’art, figurent des statues totem de l’ancien royaume d’Abomey, des portes de palais, trônes, autels ainsi que le trône du roi Béhanzin. Et ce 9 novembre 2021, ces pièces historiques doivent être transférées au Bénin, d’où elles sont originaires.
En novembre 2017 Le chef de l’Etat français s’était engagé lors d’un discours à l’université de Ouagadougou (Burkina Faso) à rendre possible dans un délai de cinq ans la restitution temporaire ou définitive du patrimoine africain se trouvant en France. Sur la base d’un rapport remis par des universitaires sénégalais et français, il avait décidé de rendre les 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, ainsi que le sabre et le fourreau d’El Hadj Omar Tall demandés par le Sénégal.
Trésors volés ou légalement acquis
Chaque société possède de biens culturels de nature variée et ayant de valeurs plurielles, religieuse, historique, affective. Pendant le 20ème siècle, les Africains ont valorisé leurs objets d’art à des fins décoratives, alors que jadis, ce n’était concevable que pour des lieux de culte et les places publiques. Aujourd’hui, beaucoup de ces objets se trouvent hors de leurs contextes d’origine, provoquant ainsi un débat sur la manière dont ils sont partis parfois très loin du continent. A quel moment, pourquoi, dans quel objectif ?
Avant leur départ, ces trésors ont servi à des rituels dans la vie quotidienne des peuples africains et représentent des aspects de pratiques culturelles qui ont été interrompues. Un ethnologue francais, Michel Leiris (*), qui a participé à une expédition de 1931, décrit des ”sacrilèges” commis pour arracher le ”butin” à de populations affolées. La période coloniale, à travers sa mission civilisatrice, présentée comme un projet ”pacifique” et ”humanitaire”, a servi de justification à l’expropriation, la subjugation de groupes culturels sur la base d’une instrumentalisation des connaissances récoltées auprès de ces mêmes peuples. Cette période de domination, pendant six siècles avant les indépendances africaines, entre 1400 à 1960, est notamment marquée par de vastes opérations de saisie et de transferment menées à la suite : 1) des échanges léonins ; 2) des saisies par l’autorité coloniale ; 3) des vols sous la forme d’expéditions armées dont le but était de prendre de force des objets d’art. Il est possible qu’il y ait aussi eu des dons, mais en l’absence de preuve, la prudence s’impose quant à son existence réelle.
Qu’ils aient été acquis par la contrainte, par la ruse ou par le pillage, ces trésors culturels volés à l’Afrique doivent faire l’objet d’une restitution totale. Telle est la seule réparation valable, préalable à d’autres discussions qui peuvent intervenir. C’est le seul recours valable, avant d’autres discussions qui pourraient avoir lieu. Comme ce débat soulevé en Belgique et qui oncerne la nature de la restitution: une restitution matérielle ou immatérielle? En guise de réponse aux revendications et suite à un rapport d’experts belges exigeant des principes d’éthique dans la gestion des restitutions, Thomas Dermine, Secrétaire d’Etat belge au Redressement et stratégies d’Investissement a dernièrement exposé la politique belge de restitution au Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren. Il a insisté sur une restitution immatérielle, la distinguant de la restitution matérielle qui implique donc un transfert matériel !
Ne pas confondre obligations et risques
Est-il vrai que le manque d’expertise et de moyens peuvent entraîner une destruction de ces objets? Est-il possible que la corruption et l’absence de moralité de certains agents étatiques peuvent conduire à de nouveaux transferts de propriété illégaux? Dans un cas comme dans l’autre, ces risques supposés sont à gérer par les pays lésés qui retrouveraient leur droit de propriété. Aussi, ce débat n’est pas à confondre avec l’obligation de restitution.
Le droit international est le reflet des rapports de forces en présence. Face à cette règle, des stratégies sont aujourd’hui mises en place dans des chancelleries européennes, comme on le voit avec la Belgique, qui évoque la notion de restitution matérielle et immatérielle, pour négocier une gestion commune de ces objets d’art. ”Nous devrions engager la France dans une nouvelle politique de circulation des œuvres. Nous devons partager ces chefs-d’œuvre, les prêter, les exposer. Dans l’environnement muséal, la recherche de l’universel ne doit pas avoir des frontières, car il s’agit du patrimoine commun de l’humanité. Avec la restitution, nous faisons la démonstration de cette volonté”, déclare un député français Pascal Bois.
En réalité, le restitution de trésors culturels africains, tout comme le paiement des compensations et autres indemnités relatives au passé colonial sont liés à un contexte global de questionnement sur l’occupation coloniale et ses conséquences. La faille majeure de ce processus de rapatriement réside dans le fait que les puissants (pays colonisateurs) veulent dicter aux faibles (pays colonisés) les modalités d’une pseudo-réparation. Pourtant, des antécedents sont encore frais dans la mémoire collective !
A titre de rappel, Haïti a versé une indemnité aux colons français, en réalité une rançon à l’indépendance, à partir de 1825, après l’abolition de l’esclavage. La Grande-Bretagne a payé des dédommagements en faveur des Mau Mau du Kenya. L’Allemagne a reconnu en mai 2021 après avoir nié les faits pendant plusieurs années, avoir commis un génocide au cours de son occupation coloniale de la Namibie. Les colons allemands y ont massacrés des dizaines de milliers de Herero et de Nama, au début du XXe siècle. ”À la lumière de la responsabilité historique de l’Allemagne, nous demanderons pardon à la Namibie et aux descendants des victimes”, a déclaré le ministre allemand des affaires étrangères, ajoutant que son pays, dans un ”geste de reconnaissance de l’immense souffrance infligée aux victimes, soutiendra le développement de la Namibie avec un programme de plus de 1,1 milliard d’euros”.
La restitution, comme réponse définitive ?
La restitution ne saurait être conditionnelle, surtout quand ce sont les puissances coloniales ayant illégalement bénéficié du transfert de ces trésors qui veulent dicter les conditions. En plus, le cadre conventionnel mis en place ne règle pas les situations antérieures et ne se rapporte pas à ces objets qui ont généralement été transférés bien avant l’existence des États africains actuels. Nous pensons à la Convention concernant les mesures interdisant l’importation, l’exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels, établie en 1970 par l’UNESCO et ratifiée par 141 États. C’est un cadre de négociation multilatérale pour la restitution, basé sur le volontarisme des États. Or, les États qui ont bénéficié des transferts illégaux préfèrent les négociations bilatérales, plus pratiques à leurs yeux, face à des interlocuteurs non outillés et parfois corruptibles.
En somme, il faut revenir à une seule réparation valable : la restitution pure et simple des objets d’art. La principale difficulté demeure la faiblesse du droit. Or, dans les relations internationales, c’est la volonté des États qui détermine s’ils vont ou non respecter les règles. Il revient donc aux africains de faire preuve de solidarité pour imposer devant toutes les instances, le droit à la restitution, sans conditions. Mais au-delà des restitutions annoncées, voilà une opportunité de questionner le fait colonial.
En novembre 2019 La Marie-Séraphique, un navire négrier, construit à Nantes pour la traite des Noirs au XVIIIe siècle entre l’Europe et les Amériques, a fait l’objet d’une exposition au Musée de l’Or à Bogota, en Colombie. A la faveur de l’émergence des mouvements qui luttent pour la reconnaissance des droits des Afro-Colombiens, la Colombie et d’autres pays de l’Amérique latine tentent depuis quelques années, de revisiter l’histoire de l’esclavage. Cette exposition de La Marie-Séraphique retracait divers parcours du navire négrier entre le 1er mai 1768 et le 27 juin 1959, pendant qu’il transportait des esclaves africains entassés dans des conditions inhumaines. Avec près de 4.350 expéditions répertoriées, la France fut la 4e puissance esclavagiste entre les XVIIe et XIXe siècles.
Le 30 juin 2020, le roi des Belges a exprimé ses ”regrets” au peuple congolais pour les souffrances causées par le pouvoir colonial. La première fois qu’un monarque belge règnant exprimait publiquement ses regrets pour la violence imposée pendant le passé colonial du pays, et qui reste un sujet sensible en Belgique. Une semaine plus tôt, le parlement belge avait initié la création d’une ”Commission vérité” sur le passé colonial au Congo, au Rwanda et au Burundi. Cette commission continue d’y travailler.
Certes, pareil contexte peut servir de prétexte au débat sur la restitution des trésors africains à leurs pays d’origine. Mais cette question de la restitution repose globalement celle du pillage humain, culturel, économique dont l’Afrique a fait, et continue de faire l’objet. Cela devrait donc être le début d’un débat, et non une réponse définitive.
Joseph R. Kafuka • 2021-12-10 Joseph R. Kafuka est un journaliste originaire du Congo-Kinshasa où il a été le fondateur d'un réseau de journalistes congolais contre la corruption (REJAC). En Suède, il est consultant au "Female Film Festival" de Malmö et membre de l'association des professeurs de langue française.